(Photographie : Emmanuel Fournigault)
Les premier et deux novembre sont successivement célébrées la Toussaint et la Fête des morts (Défunts) ; deux fêtes distinctes, souvent confondues, mais intimement liées.
La Toussaint est, comme son nom l’indique, la fête de tous les Saints ; elle sublime la sainteté de Dieu. Georges Bernanos disait, avec son style inoubliable, « Notre Eglise est l’église des Saints » (1). Et d’ajouter : « Car la sainteté est une aventure, elle est même la seule aventure. Qui l’a une fois compris est entré au coeur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle une autre ferveur que celle de la mort, une espérance surhumaine. » (2) Le Saint, intercesseur indispensable entre nous et le Très-Haut.
« J’aime croire qu’une longue traîne de sainteté chemine vers Dieu en embarquant par charité la poussière de nos prières. J’aime entendre le prêtre réciter la litanie des saints » écrit quant à lui Denis TILLINAC dans son « Dictionnaire amoureux du catholicisme ». (3).
La Fête des morts (Défunts) est, dans la théologie chrétienne, une fête de la purification et une manifestation essentielle de la fidélité aux défunts.
Contrairement à ce qu’elle est devenue dans notre société qui craint la mort et peut-être plus encore la maladie et la déchéance, cette journée est bien une fête. C’est la présence manifeste et symbolique de ceux qui nous ont temporairement quittés et qui nous attendent. C’est une communion avec ceux qui ont quitté notre temps mais attendent qu’on les rejoigne pour l’éternité.
Nulle tristesse (contrairement aux visages composés de ceux qui ne viennent au cimetière que pour cette « occasion » vécue comme une contrainte …) mais un moment de partage dont le symbole floral, le chrysanthème, fait des cimetières dans les jours qui suivent les débuts de novembre une manière de distraction ou, plus exactement, d’improbable fantaisie.
Comme beaucoup de déracinés, qui n’ont pas vraiment choisi le lieu où ils tentent de vivre, je n’irai pas fleurir la tombe de mes morts aimés mais je serai heureux de savoir que nombre de stèles seront honorées et participeront ainsi, dans un silence complice, à cette fête que notre époque s’acharne à rendre triste.
(Photographie : Emmanuel Fournigault)
Mieux que ces quelques lignes, l’extrait ci-après du livre de Nathanaël Dupré La Tour (1977-2013), « Au seuil du monde », (4) me paraît rendre compte de cette expérience sensible … J’invite chacun d’entre vous à parcourir, au hasard, un cimetière dans les jours qui suivent le début du mois de novembre… Cette expérience nous met en communion avec des défunts, des familles entières que nous ne connaissons pas mais qui deviennent proches par le simple regard porté sur leur tombe fleurie.
Extrait :
« C’est la Toussaint qui dévoile la vérité du pays, et peut-être sa façon propre, sans artifice et sans décorum, de raconter la Gloire de Dieu. [...] C’est alors qu’il faut se laisser prendre à l’austérité des cimetières du pays, dépourvus d’arbres et qui ne cachent rien de ce que la mort a d’âpre et paisible, de ce désert si proche de nous qui, patiemment, nous attend. » (5)
Méditons aussi ce propos, extrait d’un vieux missel, à la page du 2 novembre (Mémoire de tous les fidèles défunts) : « Après avoir chanté la gloire et le bonheur de l’Eglise triomphante [la Toussaint], la liturgie nous invite à penser à l’Eglise souffrante, aux âmes qui ont besoin de nos prières et de nos sacrifices. Ce n’est pas un jour de tristesse, ni de deuil, c’est un jour d’ardente supplication pour que Dieu délivre nos défunts du purgatoire où s’achève leur purification, et pour qu’il les admette dans son Royaume. » (6)
Outre les photographies de chrysanthèmes, cette plante parfaite et généreuse, prises au cimetière du Père-Lachaise, la troisième photographie fut prise un matin ensoleillé de septembre 2013 dans l’Orne (61).
C’est une église reconstruite mais dont les vestiges ont été préservés, attestant ainsi que les ruines peuvent survivre à l’altération du temps, et renvoyant ainsi, d’une certaine manière, à la journée des Défunts : les ruines fières et préservées nous rappellent, en effet, qu’il y a une permanence qui nous dépasse, que nous ne pouvons aimer les vivants que si nous savons aimer les morts.
Pour les plus curieux, il s’agit de l’église du village d’Ecouché dont nombre d’automobilistes doivent ignorer l’existence puisque les « spécialistes » de l’Equipement ont créé des routes qui permettent de « contourner » les centres et les bourgs … Autrement dit, de contourner l’Histoire.
(Photographie : Emmanuel Fournigault)
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1 – Georges Bernanos, « Jeanne relapse et sainte », pages 21 à 51, in Les Prédestinés (éditions Points – Sagesses, 1983 pour l’édition citée).
2 – Op.cité, page 48.
3 - Plon (2011), page 512.
4 – Nathanël Dupré La Tour, « Au seuil du monde », page 15 (éditions Le Félin, 2013). Essayiste et chercheur à l’oeuvre prometteuse, Nathanaël Dupré La Tour est prématurément décédé au printemps 2013 ; ses quelques livres et ses articles n’en sont que plus précieux…
5 – C’est moi qui souligne.
6 - Missel quotidien des fidèles, Maison Mame, Tours, (1952), page 1412.